Un p'tit verre et pis s'en vont... [Jake]

Lorsque Rei communiquait avec quelqu’un, il ne pouvait s’empêcher d’observer la moindre réaction sur le visage de celui-ci. Et là, il le faisait beaucoup plus qu’en temps normal car il avait enclenché le mode « test ». C’est-à-dire qu’il s’amusait à tester la personne face à lui.
N’oublions pas que le jeune homme était d’un égocentrisme pur et dur, et qu’il voyait tous les autres comme ayant une fonction utilitaire, comme des proies ou comme de simples jouets, dans l’ensemble. Oui, Rei était pourri jusqu’à la moelle. C’était un sale type. Mais c’était pour ça qu’on l’aimait. Avouez, vous tous, que vous êtes toujours tous immédiatement attirés par le danger. Eh bien le psychologue était un énorme danger qui attirait tel un énorme amant toutes les personnes s’approchant de lui. Et il aimait ça.
Détruire quand notre travail est de soigner. Non, le jeune homme ne pensait pas ainsi. Il n’était pas assez conscient pour penser aux dégâts qu’il pouvait infliger aux autres. Il ne penser qu’à lui, qu’à sa petite personne, qu’à ses propres besoins. Pas aux autres. Ils pleurent ? Ils s’en remettront. Ils iront pleurer dans le bureau d’un de ses congénères et celui-ci saura trouver le moyen de les consoler.

Ayant cette faculté d’observation plutôt pointue, il remarqua immédiatement les signes d’agacement sur le visage du jeune homme. Notamment, la plus voyante : un froncement de sourcil. Réduisant l’espace qui les séparait, le jardinier s’approcha de lui. Par pur réflexe, le psychologue esquissa un geste en arrière, n’ayant plus l’habitude que l’on dépasse ce qu’il avait appelé la distance de politesse.
En effet, au Japon, il avait remarqué qu’il y avait une certaine marge autour de laquelle personne ne s’approchait. Personne sauf une personne intime ou un ami proche. Alors, le fait qu’un inconnu comme lui s’approche d’un coup, cela l’avait surpris. Surtout qu’il était agacé, c’était plutôt étrange… Cet homme paraissait vraiment étrange. Il parla :

« Ce n’est pas vraiment une vocation... Je vous promet de planter ici ces clématites et de répondre à vos questions si vous venez boire un verre avec moi ce soir. »

Le fait qu’il avait été plutôt expéditif sur le sujet indiqua clairement au jeune homme qu’il n’était pas vraiment du genre bavard et qu’il n’aimait pas spécialement qu’on le soit. Le jeune androgyne ouvrit la bouche pour répondre au jeune homme avant que le lémurien commence à lui voler ses clefs. Jake attrapa le chapardeur par la queue mais, il ne cessa de regarder Rei qui avait laissé sa surprise s’afficher sur son visage et qui fixait le voleur :

« Pyonh, soit gentil, rend les clefs avant que je me fâche. »

Il semblait toujours agacé. Cet agacement contraria particulièrement le jeune homme qui se contenta de rester avec le même sourire impassible. Oui, contrairement à ce que l’on pouvait imaginer, les émotions parfois les plus importantes ne se reflétaient pas forcément sur son visage. Peut-être est-ce que cela venait de ses origines japonaises. Ils étaient connus pour rester neutres en toutes circonstances. Ce n’était qu’un préjugé mais Rei avait déjà pu le remarquer plusieurs fois…
L’animal se montra docile et rendit les clefs à Rei qui se mit à rire légèrement en lui tapotant la tête et en lui lâchant un vague :

« Petit coquin, va ! »

Et oui, il ne connaissait pas vraiment d’insultes en japonais alors il devait se contenter du minimum. Donc de cette insulte en question…
Il allait une nouvelle fois ouvrir la bouche pour répondre à Jake lorsque la fenêtre au-dessus d’eux s’ouvrit et que la vieille pie de bibliothécaire se mit à beugler :

« Hanamomo-san, vos livre ! Vous m’avez tanné pendant près d’une semaine pour avoir ces stupides bouquins et maintenant qu’ils sont en votre possession, vous les oubliez bêtement. Alors arrêtez de flirter à tout va et revenez chercher ces feuillets pour simplets. Grmbl… Y’en qui bossent ici… »

Roulant des yeux, il lança du bout des lèvres :

« Oui, madame. Bien, madame… »

Avant de marmonner :

« Vieille pie stupide. ‘Parle qu’elle bosse, elle passe son temps à faire mumuse avec le solitaire sur son ordinateur… »

Puis il s’adressa enfin à son interlocuteur, lui faisant un sourire éblouissant et lui répondant simplement :

« Très bien, ça marche pour ce soir. Rejoignons-nous devant le portail à 19 heures ! Je dois vraiment y aller, là, parce que l’autre mégère va nous piquer un scandale, sinon… A ce soir ! »

Il lui fit un grand sourire et caressa rapidement l’adorable petit lémurien voleur avant de partir précipitamment en leur faisant un grand signe pour aller rechercher ses livres.
Rei passa donc le reste de la journée à rassembler les livres pour retourner chez lui pour tout étudier. C’était en effet un jour de repos pour lui et il en profita toute la journée avant de commencer à se préparer pour la soirée…

Le soir arriva enfin et Rei quitta son confortable kimono au dernier moment pour le troquer contre un jean slim simple blanc avec un tee-shirt à la coupe standard. Il l’avait achetée sur un site français, on y voyait une bombe faite en nuage taguant un ciel noir empli de nuages tristounets pour transformer celui-ci en beau ciel bleu.

Spoiler:

Ils rejoignirent donc et le taxi vint les prendre quelques secondes plus tard. Rei lança au chauffeur :

« Au bar de La Voie Lactée, s’il-vous-plait ! »

Et quelques minutes plus tard, ils y étaient. C’était un bar rustique qui ne faisait pas vraiment japonais avec une devanture en larges poutres en bois brun qui reliaient des grosses vitres enfumées. Ils entrèrent et une atmosphère chaleureuse les accueillit presque aussitôt. Des couples partout ou des personnes seules, des réunions familiales ou simplement des amis discutant autour d’un jour. Et ça riait, et ça criait et ça discutait.
Les serveuses, jolies créatures en robes les mettant bien à leur avantage tournaient en une jolie valse autour des clients en leur offrant leur commande avec un sourire frais et agréable.
L’une d’elles s’approcha des deux hommes et lâcha en fixant le psychologue :

« Rei-chan ! Ça faisait longtemps ! Tu m’as manquée, tu sais… Un ami ? Vous serez deux ? Je vais vous installer. Oh Rei-chan, j’ai vraiment attendu un de tes appels mais tu dois être occupé avec ton travail… Tu m’appelleras un de ces quatre qu’on aille boire un verre, ok ? »

Un bref signe de la tête lui suffit comme réponse et elle disparu dans le tourbillon de la salle, comme tout simplement volatilisée. Il n’essaya pas de faire le moindre effort pour se rappeler de cette charmante apparition et haussa des épaules avant de déclarer :

« Je n’ai fichtrement aucune idée de qui elle peut être mais bon… Tant pis. Vous prendrez quoi ? »

Il n’avait pas besoin de jeter de coup d’œil à la carte pour faire son choix. En effet, il était un habitué de cet endroit et le connaissait maintenant comme sa poche. Il lança alors :

« Hum… Donc vous venez d’arriver au Japon ? »

Autant commencer étape par étape, non ? En espérant qu’il ait un peu plus de conversation qu’auparavant…

Les deux jeunes hommes venaient donc de s’asseoir à la table désignée par la jolie serveuse et Rei observait silencieusement son interlocuteur qui regardait la carte tout en lui répondant :

« Je ne sais pas encore. »

Son accent était clairement anglais. Le psychologue en était maintenant persuadé et, en regardant son tee-shirt il remarqua le drapeau américain et il se souvint du préjugé comme lequel les américains étaient toujours très fiers de l’être et l’affichait toujours. Rei ne mit donc pas longtemps à déduire qu’il était américain.
Il répondit ensuite à sa question par un joli sourire :

« Non, ça fait trois ans que je suis sur Kyoto. »

Le jeune androgyne fut surprit de l’apprendre et il observa le beau jardinier s’installer. Il n’était pas si dérangé que ça d’être observé ainsi, par cet unique œil bleu. A croire qu’il n’avait peur de rien… Le psychologue savait que les yeux clairs avaient tendance à mettre mal-à-l’aise. Et lorsqu’on était borgne, aussi mignon que l’on puisse être à côté, ça n’arrangeait pas les choses. Mais étonnement, peut-être à cause du contexte chaleureux, Rei ne ressentait vraiment aucune gêne.
Ce fut au tour du jeune homme de poser des questions :

« Et vous alors, vous êtes originaire d’ici ? »

C’est vrai que les gènes dominants, chez Rei, avaient été ceux du Japon. Il n’avait donc aucun problème à s’adapter au Japon. D’ailleurs, il était même très bien habitué à la vie nippone même s’il n’y était que depuis quelques mois. Il le signala :

« Non, je suis d’origine française. Je suis même né là-bas. En fait… Je viens d’arriver ici, il y a quelques mois. Je ne sais pas combien exactement mais je pense que cela doit faire moins de six mois, tout de même… »

Il se perdit un moment dans ses pensées, se rappelant vaguement la vie en France avant d’entendre la deuxième question :

« Vous venez souvent ici ? »

A cette question, il se mit à rire légèrement pour expliquer :

« En fait, je crois que c’est l’un des premiers endroits où je suis allé lorsque je suis arrivé ici. C’est un peu comme une seconde maison et tout le monde me connaît ici… »

Un sourire attendri flottait sur les lèvres du psychologue qui n’avait toujours pas compris le quiproquo qu’il y avait depuis le début de leur rencontre. Une autre serveuse ne tarda pas à faire son arrivée :

« Ah Rei-chan, tu reviens enfin nous voir ! Ça faisait longtemps dit donc… Ces messieurs prendront ? »

Tout le monde avait prit l’habitude de l’appeler ainsi depuis qu’il avait fait l’erreur de parler de manière féminine, confondant les deux manières de parler. C’était une moquerie gentille qui amusait toujours le jeune homme mais dans ce contexte précis, il fallait avouer que cela le gênait un peu. C’était tout de même un collègue et de plus, un parfait inconnu… Il aurait certainement une réputation bizarre si jamais il colportait ce qu’il avait vu…
Le jeune psychologue commanda donc un monaco, boisson faite à partir de bière et de grenadine tout en expliquant :

« Excusez-moi de ne pas vraiment vous tenir compagnie mais je ne tiens pas vraiment l’alcool… Je ne tiens pas à vous embarrasser dès notre première rencontre. »

Un sourire gêné apparu sur ses lèvres et il continua à parler :

« Ah… Je m’excuse aussi pour mon comportement lors de notre rencontre. Il n’était pas vraiment très agréable… Je venais de me plonger dans des lectures un peu compliquées depuis quelques heures et j’avais la furieuse envie de me défouler et… C’est tombé sur vous… »

Il se trouva totalement stupide en cet instant précis mais il reprit vite contenance et lança un petit sourire discret à la serveuse lorsqu’elle leur apporta les boissons. Prenant une gorgée du breuvage, il décida alors de rester silencieux et d’observer son interlocuteur qui semblait vouloir prendre la parole…

Rei venait de lui avouer qu’il ne tenait pas vraiment l’alcool. Il n’avait pas précisé en quoi mais il vit clairement le petit sourire en coin de son interlocuteur qui lui fit comprendre qu’il avait parfaitement saisit ce qu’il essayait de dire. Jake lui répondit alors :

« Je ne pense pas que ça me gênerait... Vous êtes très beau. »

Il était gay ? Le psychologue demeura un instant surpris. Il ne s’attendait vraiment pas à ce que le jardinier soit homosexuel car il paraissait plutôt du genre « homme virile » voire presque « Dom Juan collectionneur de femmes ». Mais bon, il ne fallait pas se fier aux apparences et Rei se retrouvait flatté qu’un homme aussi beau s’intéresse à lui.
Un gentil sourire éclaira son visage et il le remercia d’un bref « merci. » avant de s’excuser pour son comportement lors de leur rencontre.

« C'est rien, c'est bien tombé... Je m'étonnais juste de vous trouver si bavard... Alors... Quand vous voulez vous défoulez, vous parlez aux inconnus ? »

Un peu gêné par la remarque, Rei contenta de garder le silence mais arbora un simple sourire également amusé pour voir que celui de Jake devenait un peu plus taquin et il l’écouta lancer :

« C'est mignon. »

Le jeune homme n’avait vraiment pas l’habitude de rencontrer des personnes lui lançant ce genre de remarques. Habituellement, c’était l’inverse. Ce qui expliqua bien sûr son rougissement incontrôlé et sa mine surprise. Il se reprit bien vite pour faire un sourire attendri et laissa échapper un petit rire, préférant ne rien rajouter.
Il trouvait l’atmosphère vraiment bizarre et il avait presque l’impression de passer à côté de quelque chose de vraiment très important mais il n’avait aucune idée de ce que cela pouvait être. Alors, il se contenta de reprendre une gorgée de sa boisson, fixant son interlocuteur qui continuait de parler :

« La France ne vous manque pas trop ? »

La question le fit se refermer sur lui-même. Mais en tant que psychologue, il refusa que cela s’affiche sur son visage. Tout simplement par honte mais aussi, parce qu’il ne voulait pas que les questions continuent sur ce sujet. Et puis, il devait passer par-dessus son passé, maintenant. Celui-ci devait arrêter de le hanter.
Un sourire agréable mais contenant peut-être une pointe de nostalgie qu’il ne su contrôler apparu sur ses lèvres et il répondit simplement :

« Non, pas vraiment. Je suis parti depuis peu et je n’étais pas vraiment attaché à ce pays. Et vous, vous ne trouvez pas le pays un peu trop petit à votre goût ? »

Un sourire taquin avait remplacé l’autre avant qu’il ne prenne une autre gorgée de son breuvage. Fatigué de cette position, il étira lentement les jambes pour aller jusqu’au maximum et resta quelques secondes ainsi avant de retourner dans sa position initiale. Il écouta la réponse.
Il esquissa alors le geste de remonter ses lunettes avant de se rendre compte qu’il les avait oubliées. Oui, le psychologue n’avait besoin d’elle que pour lire mais il avait prit l’habitude de les porter constamment.
Se rendant compte de sa méprise, il fit un demi-sourire pour remonter le visage vers son interlocuteur, l’observant silencieusement. Lâchant un demi-soupir, il regarda un moment dans le vague, perdu dans ses pensées, en caressant doucement le bord de son verre avant de reprendre conscience de l’endroit où il était et du contexte. Il fit un petit sourire gêné en s’excusant :

« Oh excusez-moi… Un léger moment d’absence… Hm… Donc, vous jardiniez également avant d’arriver ici ? »

Les questions n’étaient faites que pour occuper le silence qui s’était installé entre eux deux. Rei se voyait mal parler philosophie avec une rencontre d’un soir et il testait d’abord des sujets de tous les jours pour voir ceux qui seraient les plus intéressants. Il était également un peu mal-à-l’aise car il n’avait vraiment pas l’habitude de subir la drague. Normalement, c’était lui qui menait la danse. Là, il en aurait presque oublié les pas tellement Jake le déstabilisait…

Juste au moment où Rei posa la question, il se rendit compte que le jeune homme avait également ouvert la bouche. Il s’en voulut de ne pas l’avoir remarqué plus tôt et failli lui demander de dire avant ce qu’il voulait avant de lui répondre mais c’était déjà trop tard :

« Nan... J'ai fais plusieurs petit boulot, c'est le premier temps plein que je décroche. »

Le psychologue émit donc l’hypothèse qu’il devait donc être comme tous ces jeunes que l’on a voulu forcer à trouver un travail considéré comme valorisant et qui se sont rebellés contre la société, à leur détriment. Oh, il n’était pas du genre à les mépriser ou à les regarder de haut et il savait très bien qu’il aurait pu finir comme eux si jamais il ne s’était pas trouvé la vocation de la psychologie.
La serveuse apporta ensuite les boissons et regarda Rei avant de lui dire :

« Rei-chan... Je suis vraiment contente de te revoir tu sais... J'espère te voir bientôt. »

L’androgyne lui fit un sourire poli avant de voir l’air agacé de Jake. Il pouvait le comprendre, même lui commençait à être relativement lassé de leurs venues. Une fois, c’était un peu énervant. Deux fois, c’est limite, tout de même… Mais trois fois, ça dépassait limite les bornes, tout de même !

«Une amie ? »

Ah… Eh bah voilà… Bah bravo, bande de stupides gronzesses décérébrés. Voilà que le beau jardinier commençait à avoir des doutes. Bon… Il devait en avoir dès le début mais pour qu’il pose la question, c’était que cela devait commençait à bouillonner fort là-haut.
Lançant un demi-soupir, il lâcha avec un air désolé :

« Plus ou moins… »

Un sourire d’excuse avant de se décider à s’expliquer. Ou plutôt à donner une explication plutôt valable et acceptable :

« Elles s’amusent toujours à me faire ce coup-là depuis que je les connais. Mais d’habitude, elles le font lorsque je suis avec une bande d’amis… Hm… Je pensais que ce petit jeu les avait lassées, depuis le temps, mais apparemment non. »

Juste après, il rajouta avec un léger sourire :

« Et puis… Il n’y a pas vraiment d’autres bars dans le coin… Mais si elles deviennent trop gênantes, nous pourrons toujours partir nous dégoter un autre endroit ! »

Sans vraiment s’en rendre compte, son sourire était devenu largement malicieux tandis qu’il parlait et ce ne fut que quelques secondes après avoir parlé qu’il s’en rendit compte. Il le fit disparaître, peinant un peu car il avait toujours cette envie irrésistible de sourire.
Eh bien bravo, il devenait complètement fou le psychologue. D’abord, il avait une irrésistible envie de papoter pendant des heures et des heures et ensuite, il se mettait à sourire tout seul comme un idiot. L’art et la manière de paraître pour un être totalement instable psychologiquement en quelques heures, auprès d’un parfait inconnu.
Baissant la tête, il plongea dans l’admiration de son cocktail avant d’en prendre une gorgée.
Finalement, il lança, testant un peu le terrain :

« Vous, vous devez avoir un réel succès auprès des femmes. Je suis sûr qu'elles doivent minauder pour essayer d’avoir un peu de votre attention, celles-ci… »

Il était toujours un peu maladroit lorsqu’il parlait en japonais mais il parait que ça lui donnait un charme certain. Pourtant, là, il était sûr de ne pas s’être trompé dans la forme. Il pensait que cela devait donner un aspect global à peu près correct… En temps normal, il se faisait toujours comprendre alors il ne voyait pas pourquoi, ici, ça ne devrait pas marcher. De plus, il était face à un étranger donc si la communication était trop compliquée, il pourrait toujours tester l’anglais… Le psychologue était plutôt bon en anglais. Mais il fallait avouer qu’il n’aimait pas vraiment cette langue qu’il trouvait trop « chewing gum » dans la prononciation. Il ne lui trouvait aucun charme particulier. Mais ce goût luxueux pour les langues devait venir du fait qu’il était français. Cette langue, compliquée, avait toujours été considérée comme une langue « bijoux »…

Aux paroles de Rei, le jardinier se contenta tout d’abord de rire avant de lui répondre :

« C'est assez vrai. »

Le psychologue fut assez surpris de la réponse de Jake. D’habitude, on se contentait de lui répondre une phrase comme « mais non, voyons, je n’ai pas tant de succès… » ou on profitait de l’occasion pour lui faire un compliment mais cela ne semblait pas être la priorité du jeune homme. Il lui répondit, alors, avec un air amusé :

« Vous êtes plutôt honnête… »

Un sourire gentil étira ses lèvres et il le regarda boire sa consommation avant de le regarder partir dans ses pensées. Il ressentit, alors, une brusque tension et fixa le jeune homme borgne, essayant de deviner ses pensées. A quoi pouvait-il penser pour prendre cet air soudainement torturé ? L’expression restait neutre mais la lueur de son regard, les mouvements de ses yeux et les gestes nerveux qu’ils faisaient traduisaient bel et bien une agitation intérieure. Rei était même persuadé qu’il ne devait même pas se rendre compte de ses tics.
Clignant des yeux, il se força à penser à autre chose et laissa son regard dériver dans la salle. Là, il observa des amis en train de boire gaiement en se lançant des vannes, des collègues venus boire un coup pour parler un peu affaires mais aussi et surtout, des couples d’amoureux venus prendre un peu de bon temps ou commencer tout simplement à sympathiser. Un peu comme eux. Oh, il ne considérait pas leur relation comme cela, ce n’était pas son genre et puis, il n’était pas si rapide que ça. D’ailleurs, il n’en était même pas au stade de considérer Jake comme une potentielle proie. Il voulait tout d’abord à savoir à quoi ressemblait véritablement la personne devant lui.

Rei, curieux ? Oui. Mais c’était le propre des scientifiques, des génies d’être curieux. Pour lui, la psychologie était une science inépuisable. L’humain était un être mystérieux au dernier des points et, il voulait à tout prix essayer de connaître le plus de personnalités variées. Les humains étaient donc, en quelque sorte, les pions de son jeu. Les cobayes de ses expériences.
Mais il était lui-même esclave de ses propres expériences car Rei cherchait à tout prix à savoir quelle était sa véritable nature, il voulait arrêter de se masquer la vérité et s’accepter tel qu’il était. Un peu raté, pensez-vous ? Vous avez raison. Il en était loin, très loin. Il avait d’ailleurs beaucoup de mal à appliquer les cours de psychologie sur sa propre personne. Pourtant, la volonté était là.
Et voilà qu’il était partit dans ses propres pensées. Une phrase de Jake le réveilla :

« Et vous... ? Une si belle femme doit avoir beaucoup d'hommes à ses pieds... Peut-être même, quelques demoiselles... »

Hein ? Une femme ? Lui ?
Après un moment de silence où le psychologue se contentait bêtement de regarder son interlocuteur avec la bouche grande ouverte, dans une expression de muette surprise, il commença doucement à comprendre l’énorme quiproquo. L’homme qui se tenait devant lui était hétéro. Un vrai hétéro. Et… Il l’avait pris pour une femme.
Ce n’était la faute de personne pourtant, l’ironie de cette situation blessa Rei. Son orgueil ? Ou peut-être autre chose ? Il ne savait pas trop.
La réaction ne se fit pas attendre et les joues de l’androgyne se teintèrent d’une belle couleur carmin tandis qu’il ouvrait la bouche pour balbutier :

« Euh…Je… Une femme ? Je crois qu’il y a eu erreur sur la personne, Jake… Je…Je suis un homme ! »

Baissant le regard avec une soudaine honte, il plongea son regard dans son verre. Il sentait que c’était le moment de partir, le moment de fuir ? Mais il n’en avait aucune idée. Il s’était sentit plutôt bien en la compagnie du jardinier, une atmosphère chaleureuse s’était créée entre eux deux et voilà que tout finissait. Peut-être un peu triste le Rei ?
Il lança :

« Je suis désolé, je ne m’étais pas rendu compte que vous me preniez pour une femme… »

Pitoyable sur les bords, le psychologue. Mais pitoyablement mignon, non ?

Que c’était comique. Tristement comique. La vie, le destin, appelez ça comme vous le voudrez venait de leur jouer un jeu particulièrement cruel en leur créant un énorme quiproquo. La réaction du jardinier ne se fit d’ailleurs pas attendre et il commença tout simplement par jurer :

« Et merde. »

Ça, il l’avait dit. C’était vraiment la merde. Le psychologue n’osa pas relever le visage, trouvant tout à coup que le contenu de son verre avait quelque chose de particulièrement intéressant. Il se contenta d’attendre la suite. Dans l’ordre chronologique des choses, soit il s’en prenait une, soit ce serait un flot d’insultes ou il partirait peut-être, tout simplement.
Peu importe l’option, la suite des évènements n’aurait rien de réjouissant.

« C'est pas vrai ! ... Comment vous voulez qu'on vous prenne pour un homme avec un physique pareil ! ... »

La phrase eut l’effet d’une gifle et Rei releva brusquement le visage pour fixer. Dans son regard, trop d’émotions se mêlaient pour que l’on puisse véritablement comprendre ce qu’il pensait à cet instant précis. C’était un regard sérieux, un regard grave, un regard dramatique.
Pourtant, il décida de ne pas parler car le jardinier ne semblait pas avoir fini :

« Putain j'y crois pas ! Bon... Ecoutez... Je suis désolé... Enfin, les mecs, c'est pas trop mon rayons alors... »

Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. L’androgyne se mordit la lèvre pour finalement éclater et décider de répondre aux paroles du borgne, tout d’abord en baissant piteusement la tête, gêné :

« Comme si c’était de ma faute d’être né dans un corps comme celui-ci… »

Pourtant, il reprit un peu d’assurance pour ne pas pouvoir s’empêcher de lancer un pic, à son tour :

« …Mais d’habitude, les autres comprennent immédiatement que je suis un homme : voix plus grave, épaules plus larges, mains plus grandes… Ah ! Et peut-être… Manque de poitrine évident, non ? »

C’était vrai, quoi, à la fin. N’oublions pas que le psychologue était l’égocentrisme incarné et peu importe si la personne qui blessait son égo était belle, forte ou plus intelligente, il ne se laissait pas marcher sur les pieds.
Il acheva :

« Et que les hommes ne soient pas à votre goût, cela m’est égal. Si je suis venu ici avec vous, à la base, c’était seulement pour faire connaissance. Je n’avais aucunement l’intention de vous draguer ou quelque chose du genre… »

Laissant un moment de silence, il replongea un moment son regard dans son verre. Aucune réponse ne se fit entendre alors, il fixa de nouveau Jake pour lâcher :

« Enfin bon… Si vous ne voyiez qu’une personne potentiellement "baisable" en moi, je ne vais pas m’attarder ici. Ravi d’avoir fait votre connaissance, Jake. Au revoir. »

Et il se leva. A quoi bon rester ici ? Serait-ce un moyen de fuir ? Peut-être. Il n’était vraiment pas à l’aise, Jake non plus. Cela ne servait à rien de s’enfoncer en se perdant dans des heures de discussions qui mèneraient à la même conclusion : il y avait eu un gros quiproquo entre les deux jeunes hommes et cela avait jeté un énorme froid sur leur relation.
De toute façon, pensait Rei, ce n’était qu’un jardinier. Il ne le croiserait certainement jamais alors il n’avait pas de souci à se faire à ce niveau-là. Tant pis.
Alors pourquoi cette grosse boule au fond de sa gorge ?